Tandis que la société développe un style de vie noctambule, maladies chroniques et désordres psychiques font partie des divers problèmes de santé liés au déficit de sommeil. Avec seulement 6h42 de sommeil en moyenne, les Français ne dorment pas suffisamment. Ce temps de sommeil, qui s’avère inférieur au minimum de sept heures recommandées quotidiennement, tend à se raccourcir au fil des ans. La population a ainsi écourté ses nuits de 1h05 par rapport à 2010 et de 1h23 par rapport à 1986.
Or le manque de sommeil nuit gravement à la santé…
« Lumière bleue éveillante »
« De façon générale, la baisse du temps de sommeil est plus importante pour les moins de 40 ans, une population qui se met volontiers en privation de sommeil par des activités nocturnes prenantes, comme la consultation des écrans. Leur lumière bleue éveillante retarde l’horloge biologique avec une facilité déconcertante », s’inquiète Jean-Pierre Giordanella, médecin de santé publique et auteur en 2006 d’un rapport sur le sommeil pour le ministère de la Santé.
Pour Sylvie Royant-Parola, psychiatre spécialiste du sommeil, « il existe un temps de sommeil incompressible en dessous duquel on observe un retentissement important sur les fonctions vitales, le fonctionnement cardiovasculaire, le fonctionnement immunitaire et la régulation métabolique ».
Horloge biologique déréglée
Les personnes qui travaillent la nuit sont particulièrement touchées par ces problèmes de santé : leur rythme de travail va à l’encontre de l’horloge biologique humaine « qui cherche, quoi qu’il arrive, à promouvoir le sommeil pendant la nuit et l’éveil durant la journée », explique Claude Gronfier, neurobiologiste à l’Inserm.
En 2006, cet expert a coordonné un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les risques du travail de nuit. « Ce que l’on sait avec certitude, c’est que ce dernier peut perturber le sommeil et la vigilance, et induire un syndrome métabolique caractérisé par la présence simultanée d’au moins trois paramètres biologiques sur cinq, liés au tour de taille, à la pression artérielle, à la triglycéridémie, à la cholestérolémie et à la glycémie », ajoute Claude Gronfier. « Parmi ses effets probables, on note le risque de cancer, par exemple du sein, mais aussi de pathologies telles que les maladies coronariennes, le surpoids, l’obésité et le diabète de type 2 ». D’autres impacts sur la santé sont possibles : altération des fonctions cognitives, hypertension artérielle, accident vasculaire cérébral (AVC), anxiété, dépression, etc.
En plus du dérèglement de leur horloge biologique, ces personnes ont souvent du mal à obtenir une obscurité totale dans leur chambre. En définitive, « leur sommeil n’est pas de bonne qualité, il est fragmenté, et perturbé par les bruits de la vie ».
Somnolences en journée
« Tout ce qui fragmente le sommeil empêche son approfondissement et génère des somnolences en journée. Outre la somnolence, cela a des conséquences néfastes sur le système cardiovasculaire, qui n’est jamais au repos et subit des baisses d’oxygène répétées », déclare le Docteur Valérie Cochen de Cock, neurologue à la clinique mutualiste Beau Soleil de Montpellier, où a été réalisé un reportage qui illustre la prise en charge des troubles du sommeil par une équipe pluridisciplinaire.
Equipée d’un masque à pression positive continue (PPC), utilisé pour traiter les apnées du sommeil, Delphine Peneranda, 48 ans, est hospitalisée pour un bilan de somnolence : « Je suis fatiguée, j’ai des pertes de mémoire, je ne me sens pas au maximum de mes capacités intellectuelles et il m’est déjà arrivé de réaliser que je m’étais éteinte quelques secondes en conduisant. » C’est ce dernier motif qui a également conduit une jeune de 21 ans, Ophélie Cheval, dans cet établissement : « Je lutte en permanence contre le sommeil. Comme je fais beaucoup de route, c’est la médecine du travail qui m’a orientée ici », témoigne-t-elle.
Adolescents sous pression
Les troubles du sommeil peuvent commencer encore plus tôt. Les jeunes sont victimes d’une « pression sociale intense », en particulier à l’adolescence, période durant laquelle ils doivent se lever plus tôt et travailler plus, alors qu’ils auraient besoin de dormir « neuf heures par nuit », estime le Dr Jean-Luc Martinot, pédopsychiatre et directeur de recherche à l’Inserm. Pour ce spécialiste, les jeunes occidentaux dorment ainsi deux heures de moins que ce qu’il serait nécessaire.
Cette fatigue accumulée entraîne progressivement un décalage entre les horaires de la semaine et ceux de la fin de semaine. Ce phénomène débute vers 14 ans, lorsque les adolescents commencent à se coucher tard et à se lever tard le week-end. « Chez ceux qui ont systématiquement, tous les samedis soir, un décalage important, d’environ une heure trente à deux heures, on constate, dans plusieurs régions du cerveau, une diminution du volume de la matière grise », déplore le Dr Jean-Luc Martinot. « Moins le volume de matière grise est élevé dans les zones frontales, plus les notes de l’adolescent sont basses », renchérit-il. A 16 ans, des troubles anxiodépressifs peuvent apparaître.
Agir sur les modes de vie
Pour inverser cette tendance générale, il faut agir sur les modes de vie. « Si l’on prend les injonctions culturelles dominantes, le style de vie plébiscité, c’est l’abolition du sommeil ! » fustige Dalibor Frioux, philosophe. Dans ces représentations, dormir est synonyme d’ennui, de perte de temps, d’obstacle à une vie nocturne faite d’expériences et de rencontres enrichissantes… » Face aux enjeux de santé et d’inégalités sociales (logements exigus et exposés au bruit, univers lumineux…), défendre la valeur sommeil constitue « une question éminemment politique », affirme Dalibor Frioux.
Source : Mutualité.fr